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Turbulence dans les plasmas spatiaux : première estimation in-situ du taux de dissipation d’énergie aux échelles cinétiques
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La turbulence est un processus universel qui se produit dans les fluides usuels et dans les plasmas. En astrophysique, la turbulence joue un rôle fondamental dans divers processus énergétiques comme l’accrétion de la matière autour des objets compacts (ex. trous noirs), la formation d’étoiles dans le milieu interstellaire ou le chauffage de la couronne et vent solaires. Ce rôle est d’autant plus important que dans ces plasmas les processus classiques de dissipation d’énergie (friction et/ou résistivité électrique) sont quasi-absents. Dans les plasmas spatiaux proches de nous (comme ceux de la magnétosphère terrestre du vent solaire) il est possible d’étudier cette turbulence en détail grâce aux mesures in-situ faites à bord de satellites orbitant dans ces régions. Grâce à des modèles théoriques nouveaux (développés au LPP) et aux données multipoints de la mission spatiale MMS de la NASA il a été possible de mesurer pour la première fois le taux de cascade (ou de dissipation) d’énergie de la turbulence aux très petites échelles (<100km) dans la magnétogaine terrestre (une partie du vent solaire qui a subit l’effet de l’onde de choc terrestre). Ces mesures mettent en évidence le rôle prépondérant joué par les fluctuations de densité à petite échelle même quand leur effet est négligeable aux plus grandes échelles. A terme, ces travaux théoriques et observationnels devraient permettre de résoudre (au moins partiellement) l’épineuse question de la partition d’énergie (résultant de la cascade turbulente venant des grandes échelles) entre les ions et les électrons dans les plasmas faiblement collisionnels.
Le vent solaire est un plasma supersonique (flux de particules chargées principalement des protons et des électrons) qui est continuellement émis par le soleil. Le vent se propage dans le milieu interplanétaire et interagit avec les planètes du système solaire. Pour les planètes pourvues d’un champ magnétique intrinsèque, une magnétosphère se forme autour de la planète et agit comme un obstacle s’opposant à l’écoulement du vent solaire. L’interaction vent solaire-magnétosphère génère alors une onde de choc, suivie d’une région très turbulente appelée magnétogaine dans laquelle le vent solaire ralentit, devient plus dense et plus chaud (Figure 1). La turbulence plasma dans le magnétogaine est considérée comme un ingrédient clé pour comprendre les transferts d’énergie et la pénétration des particules du vent solaire dans la magnétosphère, processus responsables de plusieurs phénomènes dynamiques tels que les aurores polaires.
Bien que la turbulence dans les plasmas spatiaux soit étudiée depuis plusieurs décennies, plusieurs de ses propriétés fondamentales demeurent méconnues, notamment dans la magnétogaine. Une de ces inconnues est le taux moyen avec lequel l’énergie est dissipée dans le milieu. Dans un fluide turbulent (air, eau dans une rivière), des gros vortex de taille voisine collisionnent entre eux, se fragmentent et créent des vortex de plus petite taille jusqu’à atteindre des échelles encore plus petites où l’énergie cinétique des vortex est convertie en chaleur (dissipation). Le taux par lequel cette dissipation se fait est le même que celui avec lequel l’énergie des gros vortex est transférée aux plus petits (Figure 2). Dans la magnétogaine, cette cascade peut couvrir des échelles allant de 100 000 km à 1km. A la différence des fluides neutres, dans les plasmas l’énergie mise en jeu est celle des champs électrique et magnétique (en plus de l’énergie cinétique du flot) et sa dissipation se traduit par un chauffage des particules du plasma. Ces processus se produisent dans beaucoup de plasmas astrophysiques (cf. chauffage de la couronne solaire, accélération des rayons cosmiques, …).
Dans l’article Andrés et al., PRL, 2019, les auteurs ont obtenu pour la première fois une estimation du taux de dissipation de l’énergie aux échelles cinétiques, grâce aux données multipoints de la mission MMS et aux nouveaux modèles théoriques plus complets (basés sur la magnétohydrodynamique compressible avec effet Hall) développés récemment au LPP. L’application de ces modèles à un large échantillon de données des satellites MMS dans la magnétogaine terrestre ont permis de mettre en évidence le rôle prépondérant joué par les fluctuations de densité à petite échelle même quand leur effet est négligeable aux plus grandes échelles. A terme, ces travaux théoriques et observationnels devraient permettre d’apporter des éléments de réponse à une question fondamentale qui concerne plusieurs plasmas astrophysiques, à savoir quelle est la quantité d’énergie (résultant de la cascade turbulente venant des grandes échelles) qui est absorbée séparément par les ions et par les électrons, quand la cascade atteint les échelles cinétiques. Cette question ainsi que celle liées aux processus par lesquels cette absorption se fait restent des problèmes ouverts auxquels les travaux futurs tenteront de répondre.

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