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Intrication entre reconnexion magnétique et turbulence dans les plasmas astrophysiques
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Des décennies de recherche observationnelle ont montré que les plasmas astrophysiques sont généralement dans un état turbulent (Fig. 1) ; la signature la plus populaire étant le spectre de d’énergie du champ magnétique ou de la densité décroissant en loi de puissance. Dans la théorie classique de la turbulence, développée essentiellement par A. Kolmogorov, l’énergie cinétique, supposée être injectée aux très grandes échelles, cascade progressivement des grandes vers les petites échelles jusqu’à atteindre les plus petites échelles du système où elle est finalement dissipée sous forme de chaleur. Le concept de cette cascade échelle par échelle est bien illustré en hydrodynamique : des tourbillons de taille similaire interagissent, fragmentent et donnent naissance à des tourbillons plus petits (Fig. 2). Ce processus s’arrête lorsque la taille des tourbillons devient comparable à l’échelle dissipative, contrôlée au niveau microscopique par les collisions moléculaires.
Cette dissipation d’énergie se manifeste par une accélération (jets, rayons cosmiques) et/ou chauffage des particules du plasma. Les particules chargées électriquement, une fois chauffées, finissent par irradier sous forme, ex., d’émissions X ou gamma. Ces émissions (ainsi que celles émises dans d’autres longueurs d’ondes), sont utilisées pour sonder les objets astrophysiques lointains via télescopes. La turbulence intervient aussi dans d’autres problématiques astrophysiques non résolues comme le taux de formation stellaire (la turbulence tendrait à ralentir l’effondrement gravitationnel) ou l’accrétion de matière autour de trous noirs (en lien avec le transport du moment orbital). Ces exemples soulignent l’importance de bien comprendre ce phénomène afin de mieux appréhender de nombreuses problématiques astrophysiques.
L’image de cascade turbulente décrite plus haut, bien que très utile, reste très simplifiée et ne permet pas de décrire toutes les propriétés de la turbulence dans les plasmas magnétisés peu (ou pas) collisionnels. Par exemple, la turbulence dans les plasmas peut conduire à la formation de fines couches de courant électrique. Dans de telles structures, la reconnexion magnétique peut se produire, entraînant une modification de la topologie du champ magnétique, une dissipation d’énergie intense et un chauffage localisé des particules. C’est ce phénomène, à l’œuvre dans les environnements d’étoiles dont le soleil, qui est responsable de l’éjection de matière et vents stellaires. L’importance de ce processus fondamental et de son intrication avec la turbulence est étayée par le grand nombre de travaux de recherche sur le sujet. Cependant, une mesure quantitative du taux de cascade locale d’énergie fait, à ce jour, défaut, pour cause de manque d’outils théoriques adaptés. Cette lacune vient d’être comblée par les travaux publiés récemment par Manzini, Sahraoui & Califano dans Phys. Rev. Lett. [1]
Grâce à la technique dite de « coarse-graining » basée sur le "filtrage spatial" échelle par échelle, il a en effet été possible de calculer le transfert d’énergie turbulent à une échelle donnée et à chaque position dans l’espace, relaxant ainsi la contrainte des théories statistiques à la Kolmogorov qui nécessitent des moyennes (d’ensembles) sur de grandes portions de plasma. En appliquant cet outil aux données mesurées dans la magnétogaine terrestre par les 4 satellites de la mission magnétosphérique MMS de la NASA, une intensification des transferts d’énergie aux échelles sous-ioniques (plus petites que le rayon de giration des ions autour du champ magnétique 100 km) a été observée aux points de l’espace sièges de la reconnexion magnétique (Fig. 3 (e)). Les résultats ont été confirmés dans les simulations numériques de turbulence [1].
Ce travail démontre que, et explique comment, la reconnexion magnétique peut générer les fluctuations turbulentes aux petites échelles. Ce nouveau mécanisme de transfert aux petites échelles pouvant être plus rapide que la cascade classique échelle par échelle, constitue un ‘‘raccourci’’ vers les petites échelles. Il peut ainsi potentiellement résoudre un paradoxe soulevé par les observations faites dans diverses magnétogaines planétaires, à savoir l’omniprésence des fluctuations turbulentes à des échelles sous-ioniques même lorsqu’aucune cascade d’énergie n’est observée aux plus grandes échelles [3]. Plus généralement ce travail ouvre de nouvelles voies pour étudier l’intrication entre la turbulence, la reconnexion et la dissipation d’énergie dans les plasmas magnétisés sans collisions.
Références :
[1] Manzini, D., F. Sahraoui, F. Califano, Sub-ion scale turbulence driven by magnetic reconnection, Phys. Rev. Lett., 130, 205201 (2023)
[2] Manzini, D., F. Sahraoui, F. Califano, Local energy transfer and dissipation in incompressible Hall magnetohydrodynamic turbulence : The coarse-graining approach, Phys. Rev. E, 106, 035202 (2022)
[3] Huang, S. Y., L. Z. Hadid, F. Sahraoui, Z. G. Yuan, X. H. Deng, On the existence of the Kolmogorov inertial range in the terrestrial magnetosheath turbulence, ApJL, 836 (1), L10, 2017

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