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Accélération, rayonnement et turbulence dans les régions aurorales terrestres
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Sélection de publications
- Pottelette, R., Berthomier, M., and Pickett, J. : Radiation in the neighbourhood of a double layer, Ann. Geophys., 32, 677-687, doi:10.5194/angeo-32-677-2014, 2014.
- Pottelette, R., N. Dubouloz et M. Malingre Accélération et rayonnement dans les aurores boréales, Images de la Physique, 2001.
Introduction
L’impact du vent solaire sur notre planète induit des phénomènes physiques spectaculaires au niveau des régions aurorales. Dans ces régions de hautes latitudes le champ magnétique terrestre connecte la basse ionosphère, reliée par friction à l’atmosphère, et la magnétosphère externe reliée dynamiquement au vent solaire (un tel couplage est généralement absent à moyennes et basses latitudes car les lignes de champ magnétique ne s’étirent pas assez loin dans l’espace et restent confinées à la magnétosphère interne). Par suite de ce couplage, des électrons du vent solaire sont guidés le long des lignes de champ aurorales depuis les confins de la magnétosphère externe jusqu’aux basses altitudes, tout en étant accélérés jusqu’à des énergies de l’ordre de 10 keV par divers mécanismes qui ne sont pas encore totalement élucidés. L’accélération des électrons se traduit par l’émission d’un rayonnement électromagnétique intense, baptisé rayonnement kilométrique terrestre (RKT), et par la précipitation dans la haute atmosphère des électrons ainsi accélérés.
Ces électrons énergétiques entrent alors en collision avec les constituants majoritaires de l’atmosphère terrestre, et transfèrent ainsi aux atomes d’oxygène et d’azote leur énergie, qui est ensuite rayonnée sous forme d’émissions lumineuses qui sont connues sous le nom d’aurores (boréales dans l’hémisphère Nord, australes dans l’hémisphère Sud). Les régions aurorales jouent donc un rôle particulier en raison de leur connexion aux frontières externes de la magnétosphère. La figure ci-dessous, prise à l’aide d’une caméra ultra violette embarquée sur le satellite Polar, montre que les aurores se produisent sur une ceinture étroite en latitude (quelques degrés) ayant la forme d’un ovale entourant chacun des pôles magnétiques. Ces régions baptisées « ovale auroral » constituent donc, au niveau de la basse ionosphère aurorale, les pieds des lignes de champ provenant de la surface externe de la magnétosphère.
- Vue de l’ovale auroral prise par une caméra UV à bord du satellite Polar
(Iowa University)
Les aurores et l’accélération des électrons
Les aurores sont la manifestation « grande échelle » de l’accélération des électrons. Par suite du couplage imposé par le champ magnétique terrestre, la magnétosphère et l’ionosphère réagissent simultanément, mais différemment, aux perturbations véhiculées par le vent solaire :
• Le long de certaines lignes de champ, les électrons énergétiques en provenance de la surface externe de la magnétosphère sont accélérés vers la Terre jusqu’à des énergies 10 keV. Ces électrons entrent en collision avec les constituants majoritaires de l’atmosphère terrestre, et transfèrent ainsi aux atomes d’oxygène et d’azote leur énergie, qui est ensuite rayonnée sous forme d’émissions lumineuses. Plus les électrons sont énergétiques et plus ils pénètrent profondément dans l’atmosphère. La composition de l’atmosphère variant avec l’altitude, certaines couleurs sont préférentiellement émises à une altitude donnée, leur diversité produit le magnifique spectacle d’illumination totale du ciel (Voir la photo).
- Photo de draperies lumineuses dans une aurore
(© Dr. Yamauchi (IRF Kiruna))
• Le plasma devant rester globalement neutre, l’ionosphère doit réagir à cet apport de charges négatives en provenance de la magnétosphère. Le long d’autres lignes de champ, adjacentes aux précédentes, les électrons ionosphériques sont eux accélérés vers les confins de la magnétosphère afin de compenser le surcroît de charges négatives. Ces régions sont donc caractérisées par l’absence d’émissions lumineuses et apparaissent comme des franges sombres dans les aurores.
Les théories élémentaires montrent que dans le plasma de la magnétosphère où les collisions binaires sont absentes, la conductivité devrait être infinie le long du champ magnétique. En d’autres termes, ne pouvant être soutenu par des collisions, le champ électrique parallèle devrait être nul, or les données expérimentales montrent qu’il n’en est rien. Elles établissent clairement que l’accélération des électrons a lieu dans une région où les lignes champ magnétique cessent d’être des équipotentielles ; un champ électrique parallèle aux lignes de champ magnétique E// dirigé dans la direction opposée à la Terre se développe. Dans ces régions les électrons sont accélérés parallèlement vers la Terre, tandis que les ions sont accélérés parallèlement vers les confins de la magnétosphère. Ce modèle simple a l’avantage de décrire correctement les observations. Cette simplicité apparente cache un épineux problème : comment, en l’absence de collisions, peut-on maintenir un champ électrique parallèle susceptible de rendre compte de l’accélération observée ? Les mesures à haute résolution temporelle effectuées récemment dans les régions d’accélération semblent apporter un premier élément de réponse : la Turbulence atteint un niveau d’amplitude élevé et elle s’organise en structures à petite échelle. Un champ électrique parallèle, non supporté par des collisions classiques mais par des interactions ondes-particules à l’intérieur de structures non linéaires localisées, peut ainsi émerger de cette turbulence.
De fait, les données satellitaires révèlent que là où la Turbulence est intense, les régions aurorales sont caractérisées par la présence de champs électriques parallèles localisés. La figure de gauche illustre la présence d’un champ électrique statique monopolaire de plusieurs centaines de mV/m qui accélèrent les électrons vers la Terre. Ces structures localisées sont appelées « Double Couche », elles ont une étendue spatiale le long du champ magnétique terrestre de plusieurs dizaines de kilomètres et sont donc porteuses d’une différence de potentiel de plusieurs kV. Les « double couche » sont toujours associées à la présence de champs électriques bipolaires représentés sur la figure de droite. Ces derniers caractérisent les structures de Turbulence forte connues sous le nom de « trous d’électrons » dans l’espace des phases ; leur étendue spatiale est très faible de l’ordre de quelques centaines de mètre.
- Structures localisées de champ électrique (de Pottelette et al, 2014)
Il convient de souligner que la quasi-totalité de l’énergie, préalablement stockée à grande échelle par le vent solaire dans la magnétosphère, est dissipée dans les régions aurorales terrestres. La caractérisation de la Turbulence aurorale montre que cette dissipation s’effectue par le biais de structures de petite échelle.
La radiosource « TERRE »
L’émission de rayonnements électromagnétiques est une conséquence directe de l’accélération parallèle des électrons, et apparaît comme un mécanisme universel puisque des processus analogues se produisent dans les plasmas les plus reculés de notre univers. On sait maintenant que les environnements ionisés de tous les objets magnétisés du système solaire (y compris le Soleil) possédant une atmosphère dense émettent des rayonnements électromagnétiques intenses. La Terre n’échappe pas à cette règle : vue de l’espace interplanétaire notre planète se comporte comme une radiosource qui émet une puissance de 10 à 100 Mégawatts dans le domaine des ondes kilométriques (Fréquences centrées autour de 300 kHz). Ce rayonnement se propage à des distances de plusieurs unités astronomiques (1 ua 150 millions de kilomètres) de la Terre, et constitue, en quelque sorte, le « messager » des processus d’accélération se produisant autour de notre planète. Son existence a été ignorée jusqu’aux années 1965 car il est engendré à haute altitude et ne peut traverser les couches denses de l’ionosphère. De fait, il a fallu disposer de satellites opérant très au dessus de l’ionosphère pour découvrir que la Terre était une puissante radiosource.
- Spectrogramme du Rayonnement Kilométrique Terrestre
(de Pottelette et al, 2001)
Le Rayonnement Kilométrique Terrestre (RKT) est engendré à des altitudes comprises entre 3000 et 15000 km à l’intérieur de cavités où la densité des particules du plasma est très faible (< 1 cm-3). La taille de ces cavités est typiquement de l’ordre de quelques dizaines de kilomètres dans la direction transversale par rapport au champ magnétique. La figure montre un spectre dynamique fréquence-temps mesuré dans les régions source. Le RKT forme la partie haute fréquence du spectrogramme, on observe que l’émission la plus intense a grossièrement la forme d’un V aplati. L’intensité du rayonnement atteint son maximum lorsque la fréquence minimum (pointe du V) coïncide avec la fréquence cyclotron locale des électrons. Cette dernière est la fréquence naturelle de rotation des électrons autour du champ magnétique terrestre ; elle est indiquée par une ligne noire sur la figure du haut. Le RKT apparaît comme une instabilité électromagnétique engendrée à une fréquence naturelle du plasma. Approximativement 1% de l’énergie cinétique des électrons énergétiques précipitant est ainsi convertie en énergie électromagnétique.
La figure du bas montre qu’à haute résolution temporelle, le spectre du RKT apparaît composé d’un grand nombre de structures fines dérivant en fréquence. Ces observations semblent indiquer que les régions sources sont en fait composées d’une multitude de sources ponctuelles qui pourraient résulter de la présence de structures turbulentes localisées ; ces dernières joueraient ainsi le rôle d’antennes naturelles plongées dans le plasma.
Conclusions
Les plasmas circumterrestres des régions aurorales constituent un laboratoire privilégié « aisément accessible » pour aborder « in situ » l’étude de la chaîne complexe de mécanismes conduisant à l’accélération des particules chargées et à l’émission d’un intense rayonnement électromagnétique cohérent. L’universalité de ces mécanismes les rend transposables à l’étude des radiosources lointaines, baignant dans des vents stellaires, qui sont et resteront inaccessibles à la mesure directe. La communauté scientifique française est activement associée à différentes expériences spatiales internationales destinées à percer le mystère des aurores.
Bien que les aurores aient été mentionnées dans des textes datant de plusieurs milliers d’années et que les mécanismes physiques leur donnant naissance aient pu être étudiés récemment par des expériences embarquées à bord de véhicules spatiaux, elles gardent encore beaucoup de leurs mystères. Elles représentent de fait la manifestation visuelle des interactions turbulentes entre particules et champs électriques statiques et fluctuants. Ces interactions se produisent sur des échelles spatiales caractéristiques très diverses, variant de quelques centaines de mètres à plusieurs milliers de kilomètres, d’où la difficulté de les quantifier avec le seul point d’observation que constitue un satellite dans l’espace. Les missions précédentes ont de fait démontré les limites de l’analyse des mesures fournies par un satellite unique. Dans une telle configuration, il est en effet extrêmement difficile de déterminer si les variations des différents paramètres mesurés correspondent à l’évolution temporelle du milieu ou bien au déplacement du satellite à travers des structures inhomogènes. La présence de plusieurs satellites convenablement coordonnés permettrait de lever cette incertitude. Le dispositif expérimental doit être conçu de telle manière qu’il soit possible - pour des satellites situés à différentes altitudes - de réaliser des "rendez-vous" le long d’une même ligne de champ magnétique. Une telle mission internationale est actuellement à l’étude et devrait permettre, dans un proche avenir, une description plus approfondie des processus décrits dans cet article.
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